TUNISIE - 7 septembre 1999 - par PAR NOUREDDINE MEJDOUB, AMBASSADEUR DE TUNISIE À WASHINGTON.
En avril dernier, quand trois ministres maghrébins se réunissaient à Washington avec Stuart Eizenstat, sous-secrétaire d'État américain pour les Affaires économiques, leurs délégations, dans les intersessions, épiloguaient sur l'ancienneté des relations de leurs États respectifs avec l'Amérique. C'est vrai que les quatre pays (la Libye comprise) avaient signé des accords d'amitié avec Washington il y a deux siècles et établissaient même, alors, des relations diplomatiques avec la jeune République américaine. On avait ainsi pu voir l'ambassadeur tunisien de l'époque, Slimane Mallemali, « copiner » avec le président Thomas Jefferson.
Mais en Méditerranée, l'Histoire n'a pas que deux siècles. Mark McMenamin, professeur de géographie et de géologie à Mount Holyoke College, dans le Massachusetts, est convaincu que ce sont les Carthaginois qui ont découvert l'Amérique entre 350 et 320 avant J.-C. Cette affirmation aurait pu paraître loufoque si, dans la revue américaine The Numismatic et dans une conférence devant l'Association américaine des amis de la Tunisie, le 6 mai dernier, le professeur McMenamin n'avait apporté une magistrale démonstration pour étayer sa thèse.
Dans une étude de pièces de monnaie carthaginoises, présentée à Londres en 1963, les Anglais Jenkins et Lewis avaient constaté que les pièces en or de Carthage du IVe siècle avant J.-C. portaient aux pieds du cheval punique une inscription qu'ils avaient qualifiée d'inexplicable ou de déconcertante (baffling problem).
L'énigme de Jenkins-Lewis est aujourd'hui résolue. McMenamin considère, en effet, que l'inscription mystérieuse n'est autre qu'une carte géographique schématique de la région méditerranéenne et du monde connu environnant. Le spécimen 11 d'une pièce d'or de Jenkins-Lewis montre bien un centre rectangulaire du Bassin méditerranéen, avec à l'est le Levant phénicien et, en partie basse, la côte nord de l'Afrique. À l'ouest du rectangle, on distingue le détroit de Gibraltar, l'Espagne, l'Europe méridionale et spécialement la Sicile et la Sardaigne, manifestement deux territoires avec lesquels Carthage avait des échanges commerciaux intensifs. Au Nord, on peut reconnaître l'Angleterre et l'Irlande. Si l'on revient vers les côtes est de la Méditerranée, on peut identifier, au-delà de la péninsule Arabique, l'Inde représentée par un grand triangle. Sur d'autres pièces de la même époque, le dessin de l'Inde est plus élaboré et l'on distingue nettement la baie du Bengale. Mais le plus surprenant est la masse irrégulière, située à l'ouest de l'Espagne et que le professeur McMenamin identifie comme l'Amérique. Sur toutes les autres pièces présentées par Jenkins-Lewis, on retrouve cette même masse occidentale.
La lecture de ces pièces de monnaie punique nous rappelle que les Phéniciens, et spécialement les Carthaginois, hommes de la mer, étaient connus dans l'Ancien Monde pour leurs prouesses de navigateurs. Les chercheurs qui se sont penchés sur les routes commerciales de l'Antiquité estiment que les Carthaginois ont très certainement abordé les côtes brésiliennes, où l'on a retrouvé des amphores puniques ayant transporté huile d'olive et vin en échange de pierres précieuses, d'or et d'étain.
Mais McMenamin soutient que les Carthaginois ont poussé leurs expéditions jusqu'en Amérique du Nord au IVe siècle avant J.-C. En effet, des pièces de monnaie punique de cette époque ont été exhumées dans sept États américains de l'Est et du Sud-Ouest. Pour l'anecdote, des pièces carthaginoises ont été découvertes en Arkansas, État du président Bill Clinton.
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